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LA PHILOSOPHIE GRECQUE

APERÇU DE LA PHILOSOPHIE GRECQUE DES ORIGINES À  LA FIN DE L’ÉPOQUE CLASSIQUE

                  Plan de la page : 

I) LES PRESOCRATIQUES 1) Orphée et Pythagore 2) Thalès de Milet 3) Héraclite d’Ephèse 4) Parménide et l’école Eléate : la philosophie de l’Etre 5) Empédocle 6) Démocrite d’Abdère

II) LES SOPHISTES

III) LES PHILOSOPHES SOCRATIQUES 1) Socrate 2) Platon

IV) ARISTOTE

                L’étude de l’histoire de la pensée montre que dans leurs efforts pour comprendre et expliquer le monde, les civilisations ont toujours d’abord élaboré des mythes. En Grèce comme ailleurs, tout a commencé par une cosmogonie de cet ordre et nul n’ignore la puissance et la vitalité de la mythologie grecque. Mais dès le VI° siècle avant J.C., émergent en Grèce, sur le terreau mythologique, des tentatives d’explication de l’univers essayant d’éliminer  l’intervention du « surnaturel » dans l’énigme posée par l’existence du monde. C’est le début des disciplines scientifique et philosophique.  Mais à cette époque là, elles étaient intimement liées, autant dire indifférenciées puisque les premiers philosophes se nommaient « physiciens », c’est-à-dire scrutateurs de la nature,  « phusis » chez les Grecs. Les découvertes scientifiques de cette époque font, pour la plupart d’entre elles, toujours partie des fondements des sciences actuelles et cette recherche est aussi à l’origine de la philosophie au sens moderne du terme.

                Athènes deviendra vite le centre de cette nouvelle pensée et Socrate le pivot de son évolution. Par la suite, la philosophie romaine (particulièrement dans ses recherches sur la morale, le stoïcisme et l’épicurisme) se réclamera héritière de la pensée grecque. 

I) LES PRESOCRATIQUES
            Les présocratiques forment une étape importante de la pensée grecque par le caractère moderne de leurs intuitions scientifiques, vérifiées plus tard par les sciences actuelles. Les sciences et la philosophie de cette période se sont avant tout développées en Asie Mineure, appelée Ionie (Ephèse et Milet) et en Grande Grèce (Sicile et Italie du Sud).

                 1) Orphée et Pythagore

                Le poète Orphée, personnage mythologique, et Pythagore,  personnage historique ( 580-500 av.J.C.), partagent une croyance commune en l’immortalité de l’âme. Ces deux philosophies mystiques que sont l’orphisme et le pythagorisme reposent sur des pratiques et des rites destinés à purifier l’âme emprisonnée dans le corps pour l’aider dans sa vie future après la mort. Pour Pythagore, l’âme revient dans un corps nouveau selon les vertus ou les vices de sa vie précédente. Le corps est donc une prison où l’âme est enfermée pour des fautes antérieures : (sôma – sêma : corps = tombe). C’est la croyance en la réincarnation ou métempsychose. Pour celui qui pratique la sagesse et respecte les rites, les réincarnations successives permettent peu à peu la purification de l’âme, donc sa libération. Cette métaphysique est inséparable, comme toutes les philosophies présocratiques, d’un système tentant une explication scientifique de l’univers.

                C’est cet aspect qui donne toute son importance à Pythagore. Il croit en effet à l’harmonie des nombres, principes de tout, dont la combinaison permet l’explication de l’univers et de tout être existant : il est ainsi le lointain ancêtre de la science contemporaine et des applications actuelles dans le domaine du numérique. Ainsi «  la réalité consiste en un jeu d’oppositions entre ce qui est déterminé (ou impair), source de perfection, et ce qui est indéterminé (ou pair), source d’imperfection » (Précis de littérature gréco-latine, éditions Magnard), cependant le chiffre parfait est le chiffre 10, formant le « triangle mystique », triangle équilatéral, constitué de l’addition des chiffres 4 (base du triangle), 3,2 et 1 (sommet du triangle).

                Pythagore serait l’inventeur du mot « philosophie » ( de « philos » : qui aime et « sophia » : la sagesse).

                 2) Thalès de Milet ( fin VII°- début VI° siècle av.J.C.)

                A partir de Thalès, les philosophes postérieurs à Pythagore inaugurent une conception « moderne » de la philosophie, s’écartant de toute théogonie ou mysticisme pour privilégier des explications scientifiques. Ils s’intéressent tous conjointement et en premier lieu aux différents domaines de la science ( mathématique, physique, astronomie).

                Parmi eux, Thalès, homme du début du VI° siècle, père de l’astronomie et inventeur du fameux théorème, est le fleuron d’une école de réflexion qui s’est développée à Milet, en Ionie. Ces philosophes expliquent l’univers (« cosmos »), sa formation et tous les éléments qui le constituent , à partir d’un élément unique et primordial : pour Thalès, c’est l’eau ; un autre de ces philosophes, Anaximène, pense qu’il s’agit de l’air. Tous s’efforcent de donner une explication logique et globale aux phénomènes multiples de l’univers.

                 3) Héraclite d’Ephèse (535- 475 av.J.C.)

                Sa pensée, extrêmement déroutante, allie un principe dynamique, le changement perpétuel, et la conviction que ce principe dynamique est créateur d’une unité harmonieuse gouvernant l’univers, qu’il nomme «logos » (= « feu intelligent » ou « pensée unique et souveraine »).

                Héraclite est essentiellement resté célèbre pour sa théorie du changement perpétuel ( mobilité constante des choses) illustrée par la formule « panta rei » (« tout s’écoule ») et par l’idée qu’ « on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve », puisque ce n’est jamais la même eau qui coule au même endroit. C’est là une prescience troublante de l’agitation des atomes et des théories scientifiques modernes sur l’évolution permanente de l’univers.

                4) Parménide (fin VI°- début V° siècle av.J.C.) et l’école Eléate : la philosophie de l’Etre

                L’ école de Parménide doit son nom à la ville natale de celui-ci, Elée, en Italie du Sud. A peu près contemporain d’Héraclite, il s’oppose radicalement à lui par sa conception de l’univers fondée sur l’immuable et l’unité, philosophie qu’il a exprimée dans un long poème intitulé  Sur la nature. Nos sens ne distinguent que les apparences et ce sont les apparences qui changent et paraissent multiples ; la réalité qu’elles recouvrent, c’est-à-dire la substance des choses, elle, est immuable et éternelle. Parménide la nomme « l’Etre », que seule la Raison peut appréhender et qui seul existe. Pour la Raison, le monde illusoire des apparences perçues par nos sens et marquées par le changement et le morcellement n’existe pas : c’est le « Non Etre » ; en effet « changer c’est précisément ne plus être ce qu’on était et devenir ce qu’on n’était pas encore » (R.Mucchielli : La Philosophie, Bordas).  C’est le sens de sa formule la plus célèbre : « l’Etre est, le Non Etre n’est pas ».

                Ce qui différencie d’autre part, ce système des autres systèmes de philosophes comme Thalès, c’est que l’univers envisagé n’est plus le simple univers physique, mais tout ce qui peut être appréhendé par l’esprit. Cette pensée aura une influence sur des philosophes comme Platon ou Aristote qui ne cesseront de réfléchir à cette opposition entre l’Unité essentielle de l’univers approchée par la Raison et la diversité morcelée perçue par les sens. Mais c’est aussi la question toujours posée de l’Etre et du Paraître.

                Son disciple Zénon d’Elée est surtout connu pour avoir exprimé sa pensée sous la forme de paradoxes comme celui d’Achille essayant de rattraper une tortue. Achille peut-il la rattraper ? Le sens commun dit que oui ; la pensée démontre que non car l’espace étant divisible à l’infini, la distance se réduira progressivement mais ne sera jamais nulle, Achille ne rattrapera donc jamais la tortue.

                Parmi les philosophes proches de Parménide, on peut citer également un philosophe ultérieur, Anaxagore de Clazomènes (490-428 av.J.C.) pour qui il existe une opposition similaire entre le monde matériel et le principe éternel qui gouverne le monde : le « Nous » (c’est-à-dire « esprit » ou  « intelligence » en grec). Il est intéressant de noter que, bien qu’originaire d’Ionie, Anaxagore partit à Athènes vivre dans l’entourage de Périclès, inaugurant un mouvement qui pendant des siècles fera d’Athènes le centre culturel et philosophique du monde antique.

                5) Empédocle ( vers 480-420 av.J.C.)

                Au lieu de rechercher un élément unique comme les philosophes précédents, Empédocle distingue quatre éléments primordiaux mais éternels :l’air, l’eau, la terre et le feu qui se combinent ou se séparent sous l’influence de deux forces fondamentales : Philotès (l’Amitié), qui réunit et Neikos (la Querelle), qui dissocie. « Et l’univers se fait et se défait selon une vaste alternance entre ces deux forces. Sous le règne de Philotès, l’univers tend à devenir l’être sphérique et étroitement unifié de Parménide ; sous le règne de Neikos, il se disloque en un désordre qui rappelle le changement et la tension chers à  Héraclite. » (J. de Romilly, Précis de littérature grecque, PUF). Pour Empédocle ces deux forces sont indispensables à l’univers.

                Sa philosophie s’apparente par ailleurs aux théories orphiques et pythagoriciennes de la métempsychose. La tradition le représente comme un Maître spirituel, persuadé de détenir son savoir de ses différentes réincarnations.

                 6) Démocrite d’Abdère (460-370 av.J.C.)

                Contemporain de Socrate qu’il a certainement rencontré à Athènes, Démocrite appartient cependant, par sa pensée, à la philosophie présocratique. Fondateur de la théorie de l’atomisme, il opère une synthèse entre la philosophie de Parménide fondée sur l’Etre unique et immuable et celle d’Héraclite fondée sur le perpétuel mouvement.

                Là aussi le modernisme de cette intuition de l’existence des atomes, à une époque où l’idée même du microscope ne pouvait être conçue, est tout à fait étonnante ! En effet derrière la diversité des êtres, Démocrite voit des atomes tous identiques en nature, impérissables et toujours en mouvement. Les êtres et les choses ne sont que des combinaisons d’atomes et leur diversité s’explique par l’existence de leur contraire, le vide : « convention que le chaud, convention que le froid ; en réalité, les atomes et le vide » (Démocrite, édition Gallimard). La doctrine de l’atomisme sera illustrée un siècle plus tard par Epicure (341-270 av.J.C.).

                Présocratique certes par son système d’explication du monde, Démocrite se rapproche néanmoins de Socrate par son intérêt pour la morale. Les quelques fragments qui nous restent de ses traités d’éthique montrent quelle est pour lui l’importance de la conscience du Bien et du Mal et présentent  une résonance très socratique : « C’est devant soi-même que l’on doit d’abord avoir honte quand on agit mal ». « Celui qui commet l’injustice est plus malheureux que celui qui la subit ».

                 II) LES SOPHISTES

         A partir de la seconde moitié du V° siècle avant J.C., le centralisme athénien s’accentue avec l’arrivée des sophistes venus pour la plupart de Grande Grèce et qui tous séjournent à Athènes. Les deux principaux représentants en sont Protagoras, venu de Thrace (480-408) et Gorgias, de Sicile (487-380).

La pensée philosophique n’est plus fondée sur la construction de systèmes cosmogoniques, expliquant l’univers : les sophistes mettent l’homme au centre de leur réflexion. Ainsi Protagoras peut dire : « L’homme est la mesure de toutes choses. », c’est-à-dire que la connaissance et l’expérience du monde dépendent des individus et varient avec leur jugement. Donc la véritable connaissance des choses se révèle impossible. Il ne s’agit pas pour eux de rechercher une vérité essentielle, mais ce qui peut en avoir l’apparence par le raisonnement. Cette conception débouche sur un relativisme de pensée, dont un versant est l’humanisme et l’autre le scepticisme

 Ce scepticisme conduisit les sophistes à explorer les rouages du raisonnement ; car si rien ne s’impose comme vérité absolue, tout peut devenir vrai pour peu que l’on soit capable de le démontrer et/ou d’en convaincre son interlocuteur. Donc ces philosophes sont avant tout professeurs de rhétorique : aux « physiciens » succèdent les « rhétoriciens ».

 C’est ainsi que les sophistes ont été amenés à approfondir la dialectique « inventée » par Zénon d’Elée, et qui est l’art d’argumenter pour démontrer, réfuter et persuader. Pour eux une cause n’est forte que par la force convaincante des arguments qui l’étayent ; donc toute cause réputée forte, par exemple par le bon sens ou la coutume, peut devenir faible par la rhétorique et vice-versa .

Mais l’art du raisonnement nécessite une connaissance technique approfondie du langage. Or en grec ancien, tout savoir précis dans un domaine défini se nomme « sophia » (habituellement traduit par « sagesse »). Les sophistes tirent leur nom de ce terme car ils sont détenteurs d’une « sophia » du langage. La science qu’ils ont ainsi élaborée, la grammaire, ainsi que ses applications, la rhétorique et la dialectique, ont traversé les siècles en gardant les mêmes conceptions et les mêmes termes grâce à la tradition scolaire et universitaire.

Il est reconnu d’autre part que la rigueur scientifique de leur raisonnement est un des fondements de la conception moderne de l’Histoire.

Leur succès de l’époque s’est articulé sur une nouvelle façon d’envisager la vie politique à Athènes après la période de Périclès. En effet, leur enseignement fut recherché par les jeunes Athéniens désireux de faire une carrière politique et ressentant le besoin de maîtriser le langage et l’art de la persuasion.

         Leur affirmation selon laquelle tout (et son contraire) est démontrable, le fait qu’ils faisaient payer fort cher leur enseignement et l’engouement des futurs hommes politiques ont suscité des craintes et des critiques quant à leur absence de morale, qu’eux-mêmes souvent n’ont pas méritées mais que leur système portait en germe. De là vient la connotation péjorative de ce terme de « sophiste » aujourd’hui encore. C’est précisément le reproche moral que leur font Socrate et Platon.                

 III) LES PHILOSOPHES SOCRATIQUES

 1) Socrate (469-399 av.J.C.)

On ne peut évoquer le personnage de Socrate sans le comparer aux sophistes, dont il fut le contemporain, sophistes avec lesquels l’opinion de son époque l’amalgama mais auxquels en réalité il ne cessa de s’opposer. N’ayant lui-même rien écrit, sa pensée et sa vie ne nous sont connues qu’à travers les œuvres de trois auteurs. Dans sa comédie les Nuées, Aristophane le charge de tous les reproches que l’on pouvait faire aux sophistes. Ancien élève de Socrate, Xénophon dans son Apologie de Socrate et surtout le Banquet nous présente un personnage certainement assez proche de la réalité historique. Il est au centre de l’œuvre de Platon, son plus brillant disciple, qui reprend et prolonge la pensée de ce maître.

A la différence des sophistes, Socrate est athénien et ne quittera jamais sa ville. D’extraction modeste – son père est sculpteur et sa mère sage-femme -, il se tourne très vite vers la spéculation philosophique mais sans en tirer de rémunération, contrairement à ses rivaux.

Il alliait en lui les contraires : la disgrâce  et la négligence physiques et l’exigence et la beauté morales. Exhortant ses concitoyens à rejeter l’injustice, il a lui-même, au moins à deux reprises, refusé courageusement, voire au péril de sa vie, d’accomplir, en tant que magistrat et citoyen, des ordres qu’il jugeait injustes.

Comme les sophistes, Socrate se détourne de la recherche sur la construction de l’Univers, la jugeant inutile : son intérêt se porte sur le seul objet d’étude qui soit à la portée de l’esprit humain : l’homme, c’est-à-dire la nature humaine en général et l’être humain en particulier. C’est le sens qu’il donne à la célèbre formule de Delphes qu’il a faite sienne : « Connais-toi toi-même ». Mais cette seule formule contient aussi une autre signification : se connaître soi-même signifie aussi savoir discerner ce qui est bien de ce qui est mal, et c’est en cela que Socrate s’oppose aux sophistes, puisque sa recherche a pour but exclusif le domaine moral et qu’il s’attache surtout à définir des grandes notions morales comme la justice, la piété, le bien , le courage, la tyrannie, la tempérance, l’amitié… C’est en ce sens que l’on peut parler de « révolution socratique ».

Xénophon nous présente Socrate comme un homme pieux ; Platon, un personnage plus complexe dont la conception de la religion est probablement plus abstraite que celle de la plupart de ses contemporains mais qui se réclame tout de même des dieux traditionnels, notamment Apollon.

Sa méthode d’investigation est celle d’un incessant questionneur, passant au crible de l’interrogation toutes les habitudes de pensée ; mettant ainsi son interlocuteur face à ses contradictions et ses limites et lui montrant que la vraie sagesse consiste à reconnaître dans un premier temps son ignorance (« Je ne sais qu’une seule chose, c’est que je ne sais rien ») pour se rendre capable ensuite de s’acheminer vers la difficile découverte de la vérité que chacun a en soi sans le savoir. C’est la « maïeutique », « art d’accoucher  les esprits ».

Cette méthode très déstabilisante et qui, comme celle des sophistes, remettait en question les habitudes de pensée traditionnelles, lui valut des ennemis, d’autant plus qu’elle séduisait la fleur de la jeunesse athénienne. Socrate passe pour un subversif. Ceci explique la plainte déposée contre lui et qui le mena à la mort en –399. On retint contre lui deux chefs d’accusation : corrompre la jeunesse et ne pas croire aux dieux de la cité.

Il faut replacer son procès dans le contexte troublé de la défaite d’Athènes contre Sparte à la fin de la guerre du Péloponnèse et du difficile rétablissement de la démocratie après le gouvernement oligarchique des Trente dont le représentant le plus extrémiste, Critias, se trouvait, par malheur, être un ancien ami de Socrate et un penseur sophiste. C’est à cette occasion que Socrate montra une parfaite cohérence entre ses idées et ses actes et que son personnage acquit cette dimension prodigieuse qui en fit, une fois pour toutes, le modèle du Sage dans la cité.

En effet ayant refusé de choisir lui-même une condamnation même légère pour ne pas reconnaître sa culpabilité et ainsi renier ses idées, il exaspéra les jurés et fut condamné à la peine la plus lourde. Malgré les incitations de ses amis et de nombreuses complicités influentes dans la cité et dans la prison, par fidélité aux lois d’Athènes, et pour montrer que n’ayant rien commis de mal, il ne craignait pas la mort, il refusa de s’enfuir et but la ciguë en présence de ses disciples. « Socrate : « On peut du moins et l’on doit même prier les dieux pour qu’ils favorisent le passage de ce monde à l’autre ; c’est ce que je leur demande moi-même : puissent-ils m’exaucer ! » Tout en disant cela, il porta la coupe à ses lèvres, et il la vida jusqu’à la dernière goutte avec une aisance et un calme parfait. » (Platon, Phédon)

       Ce philosophe de la parole, dernier du V° siècle, aura une influence féconde et durable sur tous les philosophes du IV° siècle, siècle de grand foisonnement intellectuel.

2) Platon (427-347 av.J.C.)

    a) La vie et les œuvres principales

        Fils de famille hautement aristocratique, Platon était davantage promis à une carrière politique qu’à la recherche philosophique. Ce fut la rencontre avec Socrate, lors de sa vingtième année, qui, semble-t-il, décida définitivement de l’orientation de sa vie. Grande figure philosophique, avec Aristote, du IV° siècle, Platon est un théoricien, contrairement à son admirable maître. Peut-être suspect comme disciple de Socrate qu’il avait suivi pendant huit ans, en tout cas bouleversé par sa mort, il quitta Athènes en –395 et n’y revint qu’en –387 pour y fonder dans le jardin de l’Académie une école où en même temps que la philosophie étaient enseignées les disciplines fondamentales, dont la mathématique.

Il y poursuivit son enseignement toute sa vie, avec de rares interruptions, infructueuses, pour essayer de concrétiser sa grande idée politique de la cité idéale gouvernée par les philosophes.

Son œuvre se compose de 35 dialogues dont la plupart mettent en scène le personnage de Socrate : les premiers dialogues : l’Apologie de Socrate, Protagoras, Gorgias ; les trois grands dialogues philosophiques : Phédon, le Banquet, Phèdre ; les dialogues politiques : la République et les Lois.

   b) Analyse de sa méthode à travers ses premiers dialogues

          Dans les premiers dialogues, la pensée de Platon ne semble pas se démarquer de celle de son maître et ceux-ci donnent l’occasion de préciser la méthode socratique. C’est le souci de respecter cette méthode qui semble imposer à Platon la forme du dialogue.

Le dialogue n’est pas une ornementation littéraire, mais il est nécessaire à la recherche de la Vérité : Socrate n’accepte comme recevable qu’une idée obtenue à l’issue d’un processus dialectique serré ( il ne faut pas oublier que le mot « dialectique » est formé sur le radical du verbe « dialegomai » qui signifie « s’entretenir avec quelqu’un », « dialoguer »). La forme du dialogue permet, grâce à la succession des questions et des réponses, d’éliminer, par touches successives les approximations de la pensée et d’aboutir par l’usage de la Raison à la définition d’Idées générales comme le Bien, la justice, la tyrannie, la tempérance … Ces idées générales ou « concepts » sont seules capables de hisser l’esprit humain au-dessus des simples « opinions », multiples ou irréfléchies et souvent infondées car issues de nos sens particuliers et non de la Raison universelle.

Cette théorie du concept (par exemple le concept de la Justice étant la quintessence de tous les traits communs à toutes les actions justes particulières) qui nous semble aujourd’hui aller de soi dans toute réflexion sur la connaissance est une création du Socrate de Platon !

Platon fait sienne la maïeutique de Socrate et dans cette démarche il n’est pas facile de distinguer l’apport de l’un ou de l’autre. 

La pensée se double d’une qualité littéraire qui donne à tous les personnages une apparence de vie et un caractère bien individualisé. Ainsi la lecture de ces œuvres ne manque pas de charme et de piquant.

c) La Métaphysique dans le Phédon, le Banquet et le Phèdre

         Il faut entendre par « métaphysique » toute conception de ce qui est au delà de la perception physique du monde, c’est-à-dire la perception par les sens : le monde visible. La métaphysique de Platon est fondée sur le dualisme, c’est-à-dire sur la distinction entre l’âme et le corps : l’âme étant immortelle, alors que le corps est périssable. « L’âme désincarnée ne retourne pas au séjour divin après une seule vie. Comme l’enseignait Pythagore, les âmes vivent plusieurs existences successives et s’incarnent dans différents corps. Or, dans les temps qui ont précédé leur vie actuelle, et tandis qu’elles étaient affranchies de toute enveloppe corporelle, elles ont contemplé les vérités éternelles. Réincarnées, elles en conservent une conscience obscure, un souvenir estompé, mais qui peut, sous l’effet d’une attention active, reprendre ses couleurs. On comprend dès lors l’efficacité de la maïeutique : elle a pour objet, précisément, de provoquer cette attention à soi-même, ou plutôt aux vérités qui dorment dans l’esprit. La science n’est qu’une réminiscence : rien de nouveau n’est introduit dans l’âme, mais des souvenirs antérieurs à son incarnation se réveillent. » (Histoire illustrée de la littérature grecque, J. Humbert et H. Berguin, éditions Didier).

Ces vérités parfaites et éternelles que l’âme a contemplées, Platon les nomme « Eidê », les Formes, c’est-à-dire les Idées : le monde invisible et uniquement intelligible. Pour illustrer ce concept, Platon a recours, cette fois-ci dans la République, livre VII , au mythe de la Caverne : « Figure-toi des hommes dans une demeure souterraine, en forme de caverne, ayant sur toute la largeur une entrée ouverte à la lumière ; ces hommes sont là depuis leur enfance, les jambes et le cou enchaînés, de sorte qu’ils ne peuvent bouger ni voir ailleurs que devant eux, la chaîne les empêchant de tourner la tête ; la lumière leur vient d’un feu allumé sur une hauteur, au loin derrière eux. » (Platon, la République, VII ,512 a) Sur la paroi  vers laquelle leurs yeux sont tournés, ils ne voient que les ombres portées d’objets extérieurs à la caverne et qu’ils prennent pour la réalité. Les hommes sont comme ces prisonniers : ils pensent que ce qu’ils perçoivent autour d’eux est la réalité, alors qu’il s’agit seulement du reflet du monde des Idées. Mais comme tous ces hommes ont en eux une âme qui a vu les Idées avant d’être incarnée, il est possible que certains d’entre eux, notamment les philosophes, en aient un souvenir confus . Le travail de la maïeutique consiste à faire remonter à la conscience le souvenir de ces Idées, donc la connaissance de la Réalité vraie, permanente et immuable. Cette Réalité invisible est constituée de tous les modèles uniques et parfaits engendrant les multiples copies imparfaites du monde sensible (par exemple, tous les chevaux concrets avec leurs imperfections sont des reflets de l'Idée parfaite de cheval). Dans le mythe de la Caverne, celle-ci est la métaphore du monde et de la société tandis que les prisonniers représentent l’humanité ordinaire. Le philosophe est représenté par un prisonnier qui se serait détaché de ses liens pour sortir de la caverne et aurait contemplé les objets réels et non plus leur ombre, s’accoutumant peu à peu à une lumière croissante pour en arriver à être capable de contempler la source originelle de cette lumière qui gouverne ainsi toutes les choses sensibles : le soleil, assimilé au Bien suprême, source de la sagesse, «  gouvernant toutes les autres Idées, cause universelle de tout rectitude et de toute beauté. » (la République, VII)

          Un tel homme, revenant dans la caverne, ne peut qu’apparaître étrange et insensé à ses anciens compagnons. Il ne peut que susciter leur incompréhension ou le désir de l’éliminer. Platon a-t-il volontairement assimilé le destin du « prisonnier libéré » du mythe, symbolisant le philosophe, à celui de Socrate ?

          d) La Politique à travers la République et les Lois

         La recherche du Bien ne peut se limiter à l’individu, mais elle doit aussi s’appliquer au gouvernement de la Cité. La construction de la Cité idéale selon Platon est l’objet de son ouvrage intitulé la République. De même que l’âme est divisée en trois parties (la raison, la volonté agissante et le désir), de même la Cité est partagée en trois fonctions correspondantes assumées respectivement par les philosophes ou gouvernants, les guerriers ou gardiens et tous les dispensateurs des biens matériels.

Le gouvernement échoit au philosophe, sorti de la caverne et renonçant ensuite à la contemplation des Idées pour revenir de son plein gré dans la caverne et enseigner aux autres la Justice. Dans cet Etat, l’individu est subordonné à la collectivité et chacun remplit sa fonction selon ses compétences dans une complémentarité qui permet le fonctionnement. En effet Platon supprime la propriété individuelle, le lien familial et la distinction entre les sexes. Cette organisation pourrait faire penser à une société communautaire, mais elle repose sur une hiérarchie stricte fondée non pas sur une aristocratie de la naissance mais sur une aristocratie de l’intelligence.

Dans son dernier ouvrage, les Lois, Platon s’écarte de la Cité idéale pour définir les conditions possibles d’application de ses théories dans la réalité. Le projet est donc moins ambitieux mais l’auteur imagine toute une série de règlements contraignants destinés à empêcher toute corruption. L’accumulation de ces règlements donne l’image d’un régime plutôt totalitaire. Faut-il voir dans cette absence de liberté les conséquences des déceptions causées par les actions injustes de la démocratie athénienne, qui, par son essence, aurait dû garantir la liberté ?

La Cité idéale de Platon est la première utopie politique dans l’histoire des sociétés occidentales . Pour la première fois, un philosophe propose un mode d’organisation jugé idéal.

  IV) ARISTOTE (384-322 av.J.C.)

 1) Sa vie et son œuvre

       Aristote naquit en Thrace en –384. Son père était le médecin de Philippe, roi de Macédoine. C’est peut-être lui qui lui donna le goût pour les sciences concrètes. Mais c’est à Athènes qu’il vint parfaire son éducation en suivant pendant vingt ans l’enseignement de Platon. Il devient un de ses élèves préférés et montra un goût profond pour l’acquisition de vastes connaissances, à tel point que Platon le surnommait « le liseur » et lui confia plus tard l’enseignement de la rhétorique. Aristote fut profondément influencé par la philosophie de Platon et son système se définit par rapport à celui de Platon, y compris dans ses oppositions, car les deux hommes avaient des tempéraments et des démarches opposés.

A la mort de Platon, Aristote quitta Athènes pour se fixer à Amos comme conseiller du prince des lieux. Il fut ensuite appelé à la cour de Macédoine pour devenir le précepteur du jeune prince, le futur Alexandre le Grand. Sous la protection du roi Philippe, il y constitua le plus grand laboratoire de l’Antiquité, étudiant et classant la faune et la flore dans un esprit encyclopédique.

En –335, il revint à Athènes, récemment soumise par la Macédoine, pour fonder son école, le Lycée, du nom d’un quartier de la ville. Comme il enseignait en se promenant, ses élèves furent appelés péripatéticiens ( de « péripatos » : promenade). A la mort d’Alexandre, en –323, il dut quitter Athènes pour fuir des réactions fortement antimacédoniennes. Peu de temps après, il mourut à Chalcis, en Eubée. 

Son œuvre était importante, mais les traités destinés à la publication sont perdus ; il ne nous reste que les notes de cours et les exposés à usage interne. Cela explique la difficulté pour connaître l’œuvre véritable d’Aristote. La cheville ouvrière de la transmission de son œuvre fut Cicéron qui, plus deux siècles après, rassembla ses œuvres et les publia.

Platon, essentiellement tourné vers la morale, fut un théoricien ; Aristote, de tempérament pragmatique, essaya de classer et de décrire rigoureusement tous les champs de la connaissance, inaugurant ainsi la démarche encyclopédique. S’il est philosophe, il est aussi l’Erudit, le Savant. Chose nouvelle dans l’histoire des connaissances, il distingue nettement les différentes sciences jusque là confondues dans la philosophie.

 2) Sa Métaphysique

         Aristote s’oppose nettement à Platon en affirmant la réalité du monde concret qui n’était pour Platon qu’un monde de reflets (le vrai monde étant celui des Idées). Cette partie de la pensée d’Aristote est assez difficile à cerner  dans ses détails. Pour lui le corps est la matière – comme le matériau d’une statue est une « statue en puissance » -- et l’âme est la forme donnée au corps (eidos) --  comme la statue terminée est une « statue en acte ».

Cette position de départ éclaire sa démarche dans tous les autres domaines, fondée sur l’observation, la description et le classement raisonné.

 3) Le champ de la morale et de la politique

Son traité de morale le plus important est l’Ethique à Nicomaque. Aristote l’aborde par une série de descriptions des mœurs aboutissant à des définitions et un classement réfléchi. Dans la définition des différentes vertus, Aristote, contrairement à Platon, s’intéresse aussi aux vertus sociales -- comme l’amabilité – prenant bien davantage compte des contingences concrètes . Comme Montaigne plus tard, sa préoccupation pour définir les vertus semble être le juste milieu, la difficile voie moyenne, entre l’excès et le manque, évitant de tomber dans l’un ou l’autre de ces vices opposés : ainsi dans le livre II de l’Ethique à Nicomaque, le courage est défini à mi-chemin entre la témérité et la lâcheté.

Dans son œuvre politique, seuls nous restent les huit livres de la Politique ; toute la documentation préalable et les autres ouvrages sont perdus. Pour Aristote, l’homme étant un animal politique, l’idée même de Cité va de soi. Elle correspond à un besoin naturel de l’homme. Il critique la cité idéale de Platon, car selon lui la propriété et l’affection des individus les uns pour les autres sont les éléments nécessaires au bon fonctionnement de la Cité.

Il distingue trois types de gouvernement :la monarchie, l’aristocratie, la république, qui, lorsque l’intérêt particulier prend le pas sur l’intérêt général, se muent en leurs correspondants corrompus, respectivement : la tyrannie, l’oligarchie, la démocratie. La répartition des trois pouvoirs, législatif, exécutif et judiciaire peut se combiner, dans chaque type de gouvernement, de manière différente.

Le meilleur régime est, en politique aussi, celui qui emprunte la voie du juste milieu : sa constitution idéale est un mélange réaliste de démocratie et d’aristocratie. Là aussi, il s’oppose à l’idéalisme platonicien.

 4) Les sciences

Fidèle à son tempérament, Aristote s’est surtout intéressé à l’histoire naturelle et à la biologie. Il n’a cessé de mener des enquêtes avec ses disciples, observant les phénomènes naturels là aussi dans une perspective de classement. Les quelques titres qui nous sont parvenus en disent long sur l’éclectisme de ses recherches, dont les conclusions sont, certes, aujourd’hui dépassées, mais dont la démarche, innovante à cette époque, est fondatrice de bien des disciplines actuelles : « Du ciel », « Des météores », « Des crues du Nil » ; « Histoire des animaux », « Des parties des animaux » ; « Sur les couleurs », « Sur les plantes », et bien d’autres.

 5) Rhétorique et littérature

       Ses traités de rhétorique et de poétique sont fondés eux aussi sur l’observation et le classement rigoureux des mécanismes et des ressorts du raisonnement (pour la rhétorique) et des genres littéraires (pour la poétique). Dans ces domaines son influence fut profonde. Il a ainsi forgé les outils encore actuels de la critique littéraire et de l’analyse des discours. Ainsi, c’est de lui que viennent les règles de la vraisemblance et de l’unité d’action sur lesquelles repose la grande tragédie classique du XVII° siècle.

 Ce qui est frappant chez Aristote, c’est l’alliance d’une diversité encyclopédique des savoirs et d’une unicité de la méthode appliquée dans tous ces savoirs, et cela constamment nourri d’un intérêt profond et sincère pour tout ce qui a trait à l’humain.

 La philosophie des Grecs ne s’arrête évidemment pas avec Aristote, mais les philosophes étudiés autour de la figure de Socrate demeurent les fondateurs de la pensée occidentale.
Page réalisée par Colette Calmon et Isabelle Didierjean, professeurs de lettres classiques au collège Jeanne d'Arc - Orléans.

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